Chapeau : pourquoi était-il tant porté autrefois ?

Cent cinquante millions de chapeaux exportés chaque année au XIXe siècle, des lois pour dicter leur port et des générations entières qui n’auraient pas imaginé sortir sans leur couvre-chef : voilà la réalité historique du chapeau, bien loin de l’accessoire anodin qu’on imagine aujourd’hui.

Longtemps, des lois somptuaires ont dicté qui pouvait se coiffer et comment. En Angleterre, la « Hat Act » de 1732 n’a pas seulement réglementé la production locale pour protéger les artisans britanniques ; elle a aussi contribué à figer le chapeau comme attribut de rang et de respectabilité. La distinction sociale passait alors littéralement par la tête. Sortir nu-tête n’était pas un détail : selon l’époque, cela pouvait passer pour de la provocation, voire une offense publique. Pourtant, certains groupes, comme les sans-culottes, ont choisi de bousculer la norme et d’afficher leur différence, refaisant du chapeau un symbole politique autant que vestimentaire.

Un accessoire bien plus qu’utile : le chapeau à travers les âges

Parcourir l’histoire du chapeau, c’est traverser les siècles et leurs bouleversements. De l’Antiquité à la Belle Époque, ce bout de tissu ou de feutre s’impose partout où l’on regarde : il protège, il signale, il punit parfois. Au Moyen Âge, le bonnet n’est pas qu’un abri contre le froid : il distingue les métiers, les origines, parfois même les croyances, et la justice peut l’utiliser pour marquer l’infamie. Le pileus, ce bonnet de feutre porté dans la Rome antique, ressurgit dans la France révolutionnaire sous la forme du bonnet phrygien. À lui seul, il incarne soudain la liberté conquise et la rupture avec l’ordre établi.

Sur les marchés grouillants du XIXe siècle, impossible de manquer l’armée de canotiers, hauts-de-forme et autres gibus. L’ingénieur Antoine Gibus invente d’ailleurs le fameux chapeau escamotable, accessoire star des élégants de la capitale. Paris devient alors l’épicentre du couvre-chef : la production explose, les innovations se succèdent, chaque saison voit naître une nouvelle forme. Le chapeau n’est plus seulement nécessaire, il devient désiré.

Tout bascule au XXe siècle. La Première Guerre mondiale bouleverse les usages : les soldats rentrent, la mode se simplifie, le chapeau perd de sa superbe. Paul Poiret, pionnier de la modernité, repense la silhouette : les lignes s’épurent, les têtes se libèrent. Le cloche, star des Années Folles, épouse la nuque tandis que le feutre, plus sobre, s’impose. Après 1945, la tendance s’accélère : le chapeau se fait discret, relégué à l’accessoire ou à l’occasion. Mais à chaque période, il reste un témoin privilégié des transformations sociales et des ambitions individuelles.

Pourquoi le chapeau est-il devenu un symbole social et culturel ?

Rapidement, le chapeau dépasse sa fonction utilitaire pour devenir un signal dans la foule. Sa forme, sa matière, son port : tout indique le statut, la fortune ou l’appartenance. Que l’on arbore un haut-de-forme, une capeline ou un bibi, c’est un message qui passe, visible sans un mot. La noblesse, la bourgeoisie, la classe ouvrière : chacun a son modèle, ses codes, son langage muet.

Dans les familles royales, le chapeau se hisse au rang d’attribut : une manière d’incarner le pouvoir et de souligner une position sociale. Lors des mariages, des obsèques ou des grands événements, le choix du couvre-chef ne tient jamais du hasard. À l’inverse, le bonnet phrygien brandi dans la rue devient l’étendard d’une foule en colère, le symbole d’une identité collective assumée. Les usages se déclinent aussi selon le genre : la forme, la couleur, la matière tracent des frontières entre masculin et féminin, entre tradition et modernité.

Pour mieux saisir les différentes significations du chapeau à travers l’histoire, voici quelques-unes de ses fonctions majeures :

  • Symbole de pouvoir chez les élites
  • Marqueur de genre par la forme et le style
  • Accessoire de distinction lors des grandes cérémonies
  • Manifestation d’idées, comme avec le bonnet phrygien

Styles, matières et extravagances : tour d’horizon des grandes tendances

Le chapeau se réinvente à chaque génération, suivant les balancements de la mode et les goûts du moment. À la fin du XIXe, le haut-de-forme devient l’emblème du bourgeois, tandis que le melon, popularisé par le cinéma, marque la transition vers un style plus urbain, presque espiègle. Les années 1920 signent la révolution féminine : le chapeau cloche descend sur le front, gomme les volumes, accompagne l’émancipation des femmes. Les formes s’affinent, la modernité s’affirme.

Chaque matière a son mot à dire. Le feutre donne la structure, la paille accompagne les journées d’été, le panama incarne l’élégance décontractée. Sur les têtes des gentlemen, le borsalino traverse les décennies, porté par l’aura d’Humphrey Bogart ou d’Alain Delon. Les artisans ne se contentent plus de fabriquer : ils sculptent, innovent, osent des volumes inédits. D’un continent à l’autre, le chapeau devient passeport culturel : cow-boy aux États-Unis, bonnet phrygien en France, casquette de l’ouvrier, chacun revendique sa singularité.

Pour mieux illustrer la diversité des styles, voici quelques modèles emblématiques :

  • Chapeau paille : compagnon du plein air, il traverse les époques sans prendre une ride.
  • Chapeau melon : du boulevard à la scène, icône androgyne, il marque l’imaginaire collectif.
  • Chapeau cloche : manifeste de la femme moderne, il épouse la nuque et libère le geste.
  • Panama : élégance solaire, léger, indissociable de l’été mondain.

Les créateurs redoublent d’audace, repoussant les limites du raisonnable : des chapeaux oversize d’Alice au Pays des Merveilles jusqu’aux modèles iconiques portés par Michael Jackson, chaque époque s’approprie le chapeau, qu’il soit signe de ralliement, clin d’œil ou manifeste artistique.

Jeune femme en étude du 19e siècle en train d

Le déclin du chapeau au quotidien : entre bouleversements de société et nouvelles modes

Pendant des siècles, le chapeau a régné sur l’espace public. Jusqu’aux années 1940, sortir sans couvre-chef n’était pas envisageable, sous peine de passer pour un original ou un provocateur. Mais tout change après la Seconde Guerre mondiale : la mode s’adapte aux besoins, les tissus viennent à manquer, les silhouettes se simplifient. Le chapeau, désormais relégué au second plan, s’efface peu à peu du paysage.

L’avènement de la voiture joue aussi un rôle inattendu : les toits bas et les intérieurs exigus rendent le port du chapeau peu pratique, surtout pour les modèles volumineux. Confort et praticité prennent le dessus, la jeunesse s’inspire du cinéma et du streetwear, préférant la casquette, le bonnet ou le cheveu au vent. L’autorité vestimentaire se délite, les codes se relâchent, chacun s’invente sa propre silhouette.

Les créateurs, eux, suivent le mouvement. Paul Poiret, puis Tiphaine Gaumy, pressentent l’émancipation vestimentaire : les modèles traditionnels reculent, le chapeau cloche devient rare, le melon presque exotique. L’analyse de Frédéric Monneyron éclaire ce basculement : le chapeau n’est plus un uniforme, il devient exception, affirmation d’une singularité, parfois clin d’œil, parfois manifeste politique ou artistique.

Pour résumer les grandes étapes de ce déclin et l’émergence de nouveaux codes, voici quelques marqueurs clés :

  • Seconde Guerre mondiale : rupture décisive dans les usages vestimentaires.
  • Streetwear : avènement de la casquette, du bonnet, du style décontracté.
  • Mode contemporaine : le chapeau survit, mais sur les podiums, lors d’événements ou comme signature individuelle.

Le chapeau, hier code social universel, se raréfie dans la rue. Mais il garde sa puissance d’évocation : un accessoire qui traverse les époques, s’adapte, se transforme, et attend peut-être son prochain retour en grâce. Qui sait quelle tête il couvrira demain ?

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